Un résumé sur les effets des épidémies précédentes sur les enfants, avril 2020

Comme dans de nombreux pays du monde, les gouvernements en Afrique de l’Ouest ont fermé les écoles, interdit les grands rassemblements, introduit des couvre-feux, et ont limité les déplacements vers et depuis les grandes villes afin de protéger leur population de la menace du virus COVID-19.* Si ces mesures sont importantes pour la santé publique, elles auront néanmoins de nombreuses conséquences. Dans beaucoup de pays, les foyers les plus pauvres pourraient être touchés de manière disproportionnée. Là où les gouvernements ont des moyens limités pour fournir un soutien économique et une protection sociale, les défis auxquels ils seront confrontés pourraient être exacerbés.

Que peuvent nous apprendre les épidémies précédentes dans la région sur la manière dont les enfants pourraient être affectés ? Afin de comprendre ces risques et identifier des stratégies pour les éviter, nous analysons les épidémies précédentes, en particulier celle de la maladie à virus Ebola, pour comprendre comment les enfants ont été affectés et pour voir dans quelle mesure ces observations peuvent s’appliquer aux communautés productrices de cacao.Pression économique et capacité d’adaptation réduite des familles

Alors que le travail dans le milieu agricole est essentiel pour garantir les besoins de base et que les perturbations dans l’approvisionnement de la nourriture ont jusqu’à présent été limitées, la FAO nous met en garde contre une crise alimentaire imminente si des mesures ne sont pas prises rapidement pour protéger les plus vulnérables, y compris les petits exploitants. La Banque Mondiale prévoit que le coronavirus entraînera l’Afrique subsaharienne dans une récession, ce qui accroîtra la pression sur les budgets du gouvernement et sur les dépenses allouées aux services essentiels et à la protection sociale. Au niveau des ménages, les agriculteurs malades, des prix plus élevés de la nourriture, un manque d’accès à l’alimentation scolaire pour les enfants, et de possibles perturbations dans l’approvisionnement d’engrais et de pesticides pourraient exercer davantage de pression sur les revenus des agriculteurs. Selon des rapports sur l’impact de la crise Ebola, la mise en quarantaine a eu des conséquences disproportionnées sur les pauvres et les aînés, car celle-ci entravait l’accès à la nourriture et aux services de base, causant ainsi des effets négatifs à long terme sur la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance.

Augmentation potentielle du travail des enfants

Une analyse que la Fondation ICI publiera prochainement révèle que lorsque le revenu d’un ménage diminue, le travail des enfants tend à augmenter. Un exemple en Côte d’Ivoire montre qu’une chute de 10 % du revenu dû à une diminution du prix du cacao a entraîné une augmentation de 5 points de pourcentage du travail des enfants. Durant la crise Ebola en Sierra Leone, le travail des enfants a augmenté, car ces derniers devaient compléter le revenu familial ; les écoles étant fermées, il était attendu des enfants qu’ils travaillent davantage. L’analyse des données des systèmes de suivi et de remédiation du travail des enfants de la Fondation ICI confirme cela, et montre que même dans des circonstances normales, le taux de travail des enfants augmente de 13 points de pourcentage durant les vacances scolaires (lorsque les écoles sont fermées) comparé à lorsque l’année scolaire est en cours. La maladie ou le décès d’un membre de la famille en raison d’une épidémie a obligé certains enfants à endosser le rôle du soutien principal de la famille. Une recherche de l’OIT a relevé un lien étroit entre le travail des enfants et la perte d’un parent, notamment avec une étude montrant que les orphelins du HIV/SIDA sont deux fois plus susceptibles de travailler comparé aux autres enfants. Les enfants questionnés en Sierra Leone ont annoncé avoir davantage travaillé durant l’épidémie d’Ebola, et s’être notamment livrés à des tâches dangereuses et à des relations sexuelles transactionnelles.

Difficultés d’accès à l’éducation et à la formation continue

On estime que 1848 heures d’apprentissage par enfant ont été perdues en raison de la fermeture des écoles en Guinée, au Libéria et en Sierra Leone durant l’épidémie d’Ebola. Dans une évaluation conjointe sur les efforts de redressement des enfants après l’épidémie d’Ebola, la fermeture des écoles constituait l’inquiétude principale soulevée par les enfants en Sierra Leone. Les enfants disaient avoir peur d’oublier ce qu’ils avaient appris ou de ne pas pouvoir retourner à l’école, car ils seraient trop âgés au moment où celles-ci rouvriraient. Bien que les leçons étaient transmises à la radio et à la télévision, elles étaient considérées comme « un substitut insuffisant aux écoles ». Beaucoup d’enfants ont eu des difficultés à accéder aux offres d’apprentissage à distance, en particulier dans les communautés rurales, où l’électricité n’était pas disponible. D’autres enfants ont eu des difficultés à étudier depuis la maison en l’absence de stylos, de papier et de livres d’école. À la réouverture des écoles, des déficits de revenus ont empêché de nombreuses familles d’assurer l’éducation de leurs enfants, parmi d’autres besoins essentiels, d’après une évaluation conjointe des impacts de l’épidémie de maladie à virus Ebola au Libéria.

Augmentation d’autres risques relatifs à la protection des enfants

La mise en quarantaine et la fermeture des écoles ont amplifié d’autres risques en lien avec la protection des enfants. De manière générale, un lien fort a été démontré entre le stress économique et une prévalence plus élevée de violence à l’encontre des femmes et des enfants. L’épidémie d’Ebola a entraîné une augmentation de la violence à l’encontre des enfants (y compris des cas de violence sexuelle), de souffrances psychologiques, de grossesses et mariages précoces. Ces risques augmentent à cause de l’exposition prolongée aux auteurs de ces actes dans une situation de quarantaine ou de confinement, et à cause du manque d’accès aux réseaux de soutien social par le biais des écoles. La situation démographique changeant à cause de la crise, il a été prouvé que les femmes et les filles sont particulièrement vulnérables aux relations abusives, surtout lorsque celles-ci font face à la vulnérabilité économique. Une pression accrue sur le système de santé et sur les services sociaux peut aussi limiter l’accès aux services de soutien lorsque la violence survient. Les enfants ayant perdu des proches dans l’épidémie d’Ebola étaient particulièrement vulnérables à ces risques.

Séparation familiale, stigmatisation et effets secondaires

Dans l’épidémie de maladie à virus Ebola de 2014-2016, plus de 30 000 enfants ont perdu un parent ou les deux. En raison des peurs liées au virus, de nombreux enfants ont subi une stigmatisation, poussant dans certains cas leur communauté ou les membres de leur famille élargie à les rejeter. Cette situation a davantage séparé les familles et coupé les enfants des réseaux de soutien social. L’épidémie d’Ebola a aussi causé des effets secondaires très importants sur la protection et le développement des enfants, notamment des années scolaires perdues, un accès limité aux soins préventifs, des problèmes de santé mentale et de la souffrance psychologique. D’autres effets secondaires étaient moins visibles : au Libéria, jusqu’à 70 000 enfants nés durant l’épidémie d’Ebola n’ont pas été enregistrés, ce qui a par la suite nécessité un énorme plan de rattrapage pour que ces enfants reçoivent des documents officiels, leur donnant ainsi accès aux services essentiels. En Côte d’Ivoire, de nombreux enfants ont des difficultés à se procurer des actes de naissance, ce qui les empêche de continuer leurs études au-delà de l’école primaire, augmentant ainsi leur vulnérabilité au travail des enfants.

S’il est encore trop tôt pour dire de quelle manière le COVID-19 va exactement affecter les communautés productrices de cacao en Afrique de l’Ouest, les observations ci-dessus laissent penser que les enfants et leurs familles feront face à un panel de risques interconnectés qui pourraient avoir des conséquences négatives sur la protection des enfants.

Les éléments pertinents à retenir des stratégies passées sont les suivants :

  • Le besoin d’une stratégie d’intervention d’urgence globale menée par le gouvernement qui s’appuie sur des structures de coordination existantes, afin de garantir que le gouvernement, la société civile, l’ONU et les acteurs de l’industrie travaillent en partenariat de manière efficace.
  • Un engagement proactif avec les communautés pour diffuser efficacement des messages de prévention, encourager à faire confiance aux autorités et combattre la stigmatisation.
  • L’intégration de la protection des enfants en tant que composante centrale de la stratégie, et d’efforts spécifiques pour garantir l’accès à l’éducation et éviter l’augmentation du travail dangereux des enfants.
  • Des dispositions de soutien direct aux ménages pour surmonter les conséquences économiques du virus, combler les besoins immédiats en nourriture, et réduire le recours à des stratégies d’adaptation négatives.

Alors que le secteur du cacao s’adapte à cette situation en pleine évolution, ces leçons tirées des épidémies précédentes devraient guider nos actions. Toutes les parties prenantes devront planifier et honorer leurs engagements malgré d’importantes restrictions opérationnelles. Le partenariat, l’innovation et la créativité seront nécessaires pour trouver les meilleures manières d’apporter du soutien, tout en respectant des mesures de précaution et de prévention adéquates.

 

* Pour plus d’informations, voir : Communiqué du Conseil National de Sécurité en Côte d’Ivoire, 16 mars 2020 et Covid-19 : le Ghana annonce le confinement partiel, APA Accra, 28 mars 2020.